Un
dimanche de février 2001. Prado
plage. Lorsqu'il descend par l'escalator
à la station Cours-Julien, le ciel est clair, parcouru de nuages.
Lorsqu'il ressort à l'air libre, à la station Rond-Point
du Prado, l'atmosphère s'est considérablement assombrie.
De petites taches commencent à moucheter le sol. De fines gouttes
recouvrent peu à peu les verres de ses lunettes. Tout en traversant
le Boulevard Michelet, il les retire, les range dans leur étui
et remet l'étui dans sa poche.
Dans le 83, le chauffeur met en marche les essuie-glaces.
Lorsqu'il descend du bus, à l'arrêt Prado-Plage, il pleut
à verse. Il reste un moment immobile puis tourne son regard vers
le sud-est, d'où vient le vent de la pluie. Aucune éclaircie
n'est en vue.
Il remonte le col de sa veste et entreprend de parcourir les deux cents
mètres environ qui le séparent de l'arrêt suivant.
Il marche, poussé par le vent, la nuque fouettée par l'averse.
Une tâche d'humidité imprègne le bas de son pantalon
qui colle à l'arrière de ses jambes.
Sur la pelouse, de l'autre côté de la route, deux équipes
poursuivent avec acharnement une partie de football. Lorsqu'il atteint
l'abri-bus, la partie se disloque. Les joueurs rejoignent leurs voitures.
Tout en se changeant, ils commentent bruyamment la partie, menée
vaillamment, presque jusqu'au bout, contre l'équipe d'en face
et l'intempérie.
Après avoir consulté la table-horaire indiquant les intervalles
de passage des 83 et tout en se gardant des éclaboussures que
peuvent causer certaines voitures passant trop près du trottoir,
son regard se fixe vers la mer. Là-bas, au delà de la
chaussée, par delà la pelouse, selon un rythme irrégulier,
un panache d'écume se forme contre la digue, s'élève,
se maintient en l'air un instant, retombe, jusqu'à la prochaine
vague assez forte pour jaillir de nouveau. Il observe ce spectacle pendant
environ treize minutes, délai indiqué par la table-horaire
jusqu'au passage du prochain bus. Pierre
Grimal
Mercredi
28 février 2001 après 16 heures. Près
du kiosque à musique de la Canebière.
Quelques adolescents
parlent et rient quand un jeune, d'allure modeste, passe devant eux.
Un des adolescents se détache du groupe et lui demande une cigarette.
Il refuse, l'autre le tire par le bras tout en lui faisant un croche
pied et il tombe à genoux. Il est lâché, se relève
et repart très vite rougissant et gêné.
L'adolescent se retourne alors vers ses amis exhibant, hilare, un chéquier.
Christiane Millon
Samedi
24 février 2001,
10h45. Boulevard
des Dames.
Brusquement, l'azur du ciel efface
les roses et les violets tendres.
Le boulevard se laisse ainsi chahuter, les voitures se meuvent soudainement
en dansant vers la porte d'Aix triomphale.
Elles ne sont pas les seules.
Les feux tricolores officiants, quelques nez d'automobilistes arrêtés
dans leur course flottante
s'écrasent contre les vitres et, se lèvent pour apercevoir
la course libre des papiers et des sacs
plastiques emballés dans une grande valse improvisée.
Deux sacs plastiques blancs.
L'un d'eux s'arrête brutalement éperonné par une
branche platanisante et verdissante. L'autre continue son vol et part
se glisser derrière la fenêtre d'un immeuble et, le temps
d'un brin d'azur, quelqu'un semble apparaître, se désarticuler,
et tenter de prolonger ses membres pour attraper le nuage plastifié.
Gesticulation désordonnée, orangée, de longs bras
verts déploient des trésors d'agilité. Le sac en
plastique blanc se creuse, s'esquive, glisse puis retrouve ses rondeurs,
poursuivit par une jupe noire qui se fend, se soulève et tente
de rejoindre les longs bras verts qui s'emballent dans un jeu d'articulations
astucieuses.
Les nez sont toujours collés contre les vitres azurées.
Extérieur jour. Le ciel agité continue de promouvoir le
petit ballet du 4ème étage de l'immeuble. Oscillations
ténues, salutations, les longs bras verts continuent de monter
dans le ciel , rejoints par la jupe doublement fendue.
Le sac blanc disparaît.
Sur le boulevard des Dames, désarticulé par le Mistral
, le linge attrape le soleil et sèche en riant. Sylvie
Barbière
Samedi
17 février 2001. Magasin
La Foire-Fouille, Trests.
Il s'approche d'un vendeur
apparemment fort occupé et lui demande sans autre
forme de politesse :
- Vous avez des colliers pour chien ?
- Bien sûr, là-bas au fond à droite, répond-il.
Il y va sans un mot et revient 30 secondes plus tard l'air agacé.
- Vous avez des gants de travail ?
- Oui oui, là-bas au fond à gauche.
Il s'en va, puis 20 secondes plus tard c'est encore lui.
- Vous avez des parapluies ? recommence-t-il.
- Oui juste là derrière.
Au bout de 10 secondes, le revoilà, les mains toujours vides.
- Vous avez des vélos ? dit-il, dérangeant le vendeur
une fois de plus.
- Ah ça non, monsieur, désolé.
- Ah, quel dommage, gémit-il, s'en allant sans le moindre achat,
les mains dans les poches. Jean- Mathieu
Vendredi
16 février 2001 – vers 17h40. L'Estaque,
le port.
Une jeune femme désigne à
l'entrée du magasin un légume à l'aspect de tiges
feuillues aux extrémités en bouton de fleurs jaunes. Elles
sont réunies en gros bouquets serrés par un lien
dans une cagette.
La jeune femme :
- ça se cuisine comment ça ?
Le marchand derrière sa caisse est en train de servir un client :
- ça ? les brocolis ?... blanchis... vous les faites
blanchir.
Il finit sa pesée et va attraper un bouquet :
- vous gardez les feuilles et les fleurs, vous mettez pas les tiges
parce que c'est amer, vous voyez... jusque là... ça vous
pouvez le mettre.
Il désigne la tige fine juste en dessous des boutons de fleur.
Il retourne à la pesée des légumes du client.
Le client ; Il porte une casquette, il a l'air attentif à la
conversation, sa parka marron est zippée jusqu'au cou. Il replace
sa casquette et lance :
- à l'étouffée aussi ça se fait, vous les
mettez dans la poêle, le couvercle dessus, à l'étouffée
quoi, vous rajoutez un peu d'ail, de l'huile d'olive.
Le marchand :
- c'est plus fort comme ça... blanchi, ça le rend moins
fort.
Le client :
- à la poêle c'est bon ! c'est les Italiens qui le
font comme ça.
La jeune femme :
- bon, je vais essayer...
Le marchand :
- vous êtes combien, parce que ça réduit, c'est
comme les épinards.
La jeune femme :
- un bouquet, pour goûter. Marie-Ange
Singla
Vendredi
16 février 2001 – 12 heures 50. Jardin
d’enfants du parc du Palais Longchamp. Un immense toboggan en pierre blanche en forme de serpent sur un
parterre caoutchouteux vert et rose… sur lequel est assis à califourchon
un adolescent en train de boire du Coca-Cola… une fois la bouteille
finie, il la jette au sol derrière lui … ses trois copains sont
rentrés dans le serpent … ils jouent avec la résonance…
« et oui vous êtes venus nombreux pour nous acclamer … bonjour
monsieur, un ticket … ».
Un vieux monsieur traverse le jardin
d’enfants. Il porte un sac plastique bleu à la main, d’où
dépassent deux baguettes de pain.
Un couple d’amoureux
discute. La jeune fille avec une longue queue de cheval blonde et frisée,
a la tête posée sur les genoux du jeune homme noir au crâne
rasé.
Un homme d’une cinquantaine
d’année, lunettes de soleil, barbe grisonnante, jean bleu, polo
blanc, sac à dos joue avec les balances à ressort en forme
d’animaux … Il fait bouger l'otarie bleue … Il repart … l’otarie continue
de hocher de la tête. Sara Hug
Dimanche
11 février 2001, 18 heures.
Entre Cassis et Marseille. Des bouchons sont signalés
sur l'autoroute Est.
Elle prend alors la route nationale : "l'ancienne route d'Aubagne".
Après avoir traversé Aubagne, puis la Penne sur Huveaunne,
la Valbarelle, quelques maisons de village apparaissent à gauche,
une végétation peu vive, des entrepôts, des fabriques
plus ou moins abandonnées à droite, vitres cassées,
toits effondrés, paysage habité par le froid et le vide.
La chaussée est pavée par endroits et parfois raccommodée
par des plaques de goudron.
La nuit est de plus en plus noire. Une forme surgit sur la droite énorme,
géométrique, enchevêtrée, des échelles
un peu partout : c'est une usine. Il y a encore des fumées qui
l'enveloppent et devant au bord de la route sur un arrêt d'autobus,
elle lit :
"LA SOLITUDE."
En face, les petites maisons font place aux H.L.M. Nicole
Hatuel
Mercredi 7 février
2001 – 15 heures 30.
Quartier
de Noailles. Une femme africaine avec un
long manteau noir, un fichu de couleur noué dans les cheveux,
une grosse écharpe en laine orange et un grand sac à main
en cuir rouge se promène main dans la main avec un petit garçon
blanc. Sara Hug
Mercredi 7 février
2001 – 15 heures. Marché
des Capucins (quartier de Noailles).
Une vendeuse crie ses promotions
du jour « 6 francs 80 le kilo de clémentines »
… une autre marchande balance violemment des cagettes vides derrière
elle sans se retourner … un homme avec un casque de moto sur la tête
achète des pommes de terre et deux poireaux puis il remonte sur
son engin qu’il avait garé juste à côté de
lui … un sac plastique jaune vole au vent … un chien renifle des fruits
et légumes écrasés par terre … un enfant fait des
aller-retour avec sa trottinette … un camionneur décharge des
cartons … une Nissan verte, ses « warnings » allumés…
les chauffeurs des voitures derrière commencent à klaxonner…
Sara Hug
Mercredi 7 février
2001 – 15 heures. Marché
des Capucins (quartier de Noailles).
Les magasins les uns à côté
des autres : La Méditerranée, Choua-Mania, Torréfaction
Noailles, Bar Prinder, le Souk des viandes, Bar Briand, Pâtisserie
snack orientale le Rif, Maya, Au grand Saint –Antoine rôtisserie
charcuterie maison, Bar de l’Est Stella Artois… Sara
Hug
Mercredi 7 février
2001 – 15 heures. Place
du Marché des Capucins - Devant l’entrée du métro
Noailles. Une femme arabe porte un enfant
dans ses bras, l’enfant est complètement emmitouflé dans
une combinaison de ski rose. Un petit garçon se tient tout près,
il avance au même rythme. Devant la femme, une fillette de dix
ans environ porte un tapis roulé aussi long qu’elle. Le tapis
traîne un peu par terre, elle a du mal à le porter en marchant.
Une autre petite fille plus jeune avec des longs cheveux noirs frisés
coiffés en queue de cheval se trouve derrière, à
quelques pas. La femme se retourne pour l’appeler, elle lui dit de se
presser. La femme regarde autour d’elle si tous les enfants sont là.
Puis ils s’engouffrent tous les cinq dans la station de métro.
Sara Hug
Mardi
30 janvier 2001 – 13 heures 30. Métro
direction Castellane, station "Notre-Dame". Un homme monte dans la rame.
Il regarde autour de lui. Puis il se dirige vers un siège libre,
à côté d’une femme toute habillée d’orange.
A peine assis, il lui adresse la parole :
- Madame, vous
aimez aller vous promener dans les calanques ?
La femme le regarde un
peu surprise.
- Oui, oui, j’aime bien
ça.
L’homme reprend :
- A tout de suite maintenant,
vous aimeriez aller vous promener dans les calanques ?
La femme s’exclame aussitôt
:
- Mais c’est pas possible !
Je vais travailler moi !
L’homme se lève.
- Ben moi, j’y vais.
Il descend de la rame.
Sara Hug
Samedi
27 janvier 2001 – 19h. Boulevard
National . Trois jeunes gens, les cheveux
blancs de plâtre, attendent à l'arrêt de bus quand
tout à coup, les coupant dans leurs délirades, un jeune
garçon les aborde ainsi :
- Excusez-moi, pourrais-je
vous demander un conseil ?
- Un conseil ou un renseignement
?
- Non, non, un conseil...
Schamane
Lundi
22 janvier 2001 – 11 heures 30. Devant
la poste des Réformés. Un homme, cheveux hirsutes, vieux pantalon vert complètement
défraîchi et troué au genou, baskets sans lacets,
anorak de ski bleu électrique, se tient debout sur les marches
de la poste.
- Madame, s’il vous plaît,
regardez-moi !
La femme d’une trentaine
d’années, en jupe longue noire avec une veste marron et un sac
à main en cuir vert passe sans se retourner.
L'homme aux cheveux hirsutes
recommence :
- Monsieur, s’il
vous plaît regardez-moi !
Un homme d’une quarantaine
d’années, tout vêtu de noir des pieds à la tête,
se retourne.
- Un sourire s’il
vous plaît monsieur ! reprend l'homme aux cheveux hirsutes.
L’homme lui sourit un
peu gêné et continue de marcher sans s’arrêter. Sara
Hug
Le
21 janvier 2001 – dix heures du matin. Plage
des Catalans, Marseille.
Le ciel est bleu mais il fait froid. La
petite plage en plein centre ville est déserte. Sous l'auvent
en béton qui abrite les cabines des vestiaires, un vieux monsieur
rond en slip de bain rayé, un bob sur la tête, fait de
petits mouvements de gymnastique avec les bras. Il y a aussi trois vieilles
dames en maillots de bain. L'une d'elles traverse la plage, pose sa
serviette sur le sable et entre dans l'eau. Elle s'éclabousse,
fait quelques brasses et revient sur la plage. La deuxième vieille
dame s'étend au soleil. La troisième, aux longs cheveux
blonds, les seins nus, fait de la corde à sauter.
Jacques Doazan
Samedi
20 janvier 2001– 10 heures. Arrêt
de bus sur la Canebière. Un monsieur d’une quarantaine d’années en imperméable
gris attend le bus. Il se tient debout avec son parapluie noir grand
ouvert. Il interpelle un vieux monsieur assis sur le banc sous l’abri
de bus : « Vous avez vu ce temps pourri ! Le soleil va
jamais revenir ! C’est pas possible ! Le soleil est mort ou
quoi ? »
Le vieux monsieur lui répond :
« Et oui, si ça continue comme ça, on va avoir des pingouins à
la bonne mère ! ». Sara Hug
Lundi
15 janvier 2001– 7h30.
Bus 32, Boulevard National. Debout,
serré parmi tant de gens, elle s'agrippe à la barre du
haut les yeux rivés sur son sac tenu par l'autre main. Soudain
son portable sonne, inaccessible, persistant, avec cette mélodie
électroniquement reproduite maintes fois.
"Je suis dans le bus, et toi t'es où ? ". "Non je bosse aujourd'hui".
"Ce soir 19h" poursuit-elle. "C'est les soldes ! J'te dis pas le monde".
Le bus s'arrête au feu en secouant tout le monde, le chauffeur
redémarre. "Je descends au prochain, j'te rappelle ce soir".
Stéphane RIGO
2001.
Rue Rougié 13005 Marseille.
CERAMIQUE, METAL, PLASTIQUE.
Trois plaques bleues.
Céramique EMAILLEE, métal EMAILLE, plastique.
Aux coins de la rue Rougié et du boulevard Eugène Pierre,
trois plaques, de dimensions comparables (environ quarante centimètres
de large sur vingt centimètres de haut).
D'un côté de la rue :
à trois mètres au dessus du sol,
sur la plaque de CERAMIQUE émaillée, bleue (plaque de CERAMIQUE
émaillée, PLATE, PATINEE, bleue, SCELLEE dans le revêtement
du mur) :
"RUE ROUGIÉ",
en blanc.
Quelques dizaines de centimètres en dessous,
sur la plaque de METAL émaillée bleue (plaque de METAL
émaillée, BOMBEE, VISSEE au mur, légèrement
ROUILLEE autour des vis) :
"5ème arrondissement RUE
ROUGIÉ",
en blanc.
De l'autre côté de la rue :
sur la plaque de PLASTIQUE bleue (plaque de PLASTIQUE, PLATE, à
la SURFACE MIROITANTE, bleue, VISSEE au mur) :
"5ème arrondissement RUE
ROUGIÉ",
en blanc,
et au coin supérieur gauche de la plaque
UN ECUSSON, blanc,
en son centre : une croix bleue. Pierre
Grimal