Samedi
30 juin 2001.
Boulevard Chave.
Dans le ciel rose, tournoyant, quelques taches de goélands entourées
d'une poussière de martinets. Pierre
Grimal
Mardi
26 juin 2001.
Dans le bus 83. La corniche de Marseille.
Tout le monde sue et éclabousse tout le monde.
Ca sent de multiples odeurs, un patchwork d'odeurs vives : le monoï,
l'huile d'olive, le fromage, la lavande...
- LA CLIM! La clim! La clim! scandent les voyageurs en se marchant sur
les pieds ensablés.
- ELLE EST NASE! hurle le chauffeur qui ruisselle et qui baigne dans
son siège en skaï marron. Sa chemise bleue ciel est devenue
bleue marine par endroits.
-"Et ta mère, elle est pas nase?" crie quelqu'un du
fond du bus. Les gens rient. Certains portent leurs serviettes de bain
autour des hanches, d'autres, autour du cou.
Une beurette en paréo bleu et jaune demande à sa copine
en paréo violet :
- Rachida, et si on descendait à David et on marche?"
- Tié folle ou quoi? dehors c'est canicule."
- Ouaye, mais ici, on est enfermées Rachida."
- Mais ici, on est assises, conne, et dehors non plus y'a pas la clim
et en plus il faut marcher."
- OK, répond la beurette en se détournant pour regarder
à travers la vitre. Armand
Digénis
Lundi
18 juin 9h50.
Rue Marius Jauffret, près du boulevard Périer.
Assis dans une Peugeot 104 grise immatriculée 491 QF 13, il souffle
dans son trombone quelques notes, puis repose le trombone sur ses genoux
dès qu'il voit un passant s'approcher. Il penche la tête
de côté. Quand que la voie est libre, il reprend ses gammes
pour s'interrompre de nouveau au prochain passant.
Lundi suivant, vers
la même heure. Aujourd'hui, il nettoie minutieusement
la peugeot 104 au chiffon. Il porte des lunettes qu'il n'avait pas lorsqu'il
soufflait dans son trombone. Liane
Khouri
Samedi
16 juin 2001, 18 heures 30.
Rue St Ferréol.
Le mistral souffle. Il fait chaud.
Des papiers volent dans tous les sens. Il y a beaucoup de monde dans
la rue.
Un homme parle à sa femme d'une
voix forte :
- Arrête de me harceler! Je vais au bar et je reviens!
Les gens le regardent. La femme marmonne. L'enfant à ses côtés
se tait.
Plus loin un petit garçon vomit
au milieu de la chaussée Une jeune femme lui tient le front tout
en s'écartant de lui. Deux petites filles dansent autour sur
des sandales à semelles compensées. Un homme, tout près
d'eux, regarde ailleurs.
Deux enfants, malgré la densité
de la foule, tapent avec leurs pieds dans un ballon qui atterrit sur
la hanche d'une femme qui se met à crier.
Des gens se précipitent vers le
rideau de fer à moitié baissé du magasin "Marks
and Spencer". Ils sont refoulés par un gardien.
- 18 h 30, c'est pas une heure pour fermer! vocifère un jeune
homme. C'est nouveau!
- Non! c'est anglais! Christiane
Milon
Samedi
16 juin 2001, 3 h 30.
Place Castellane. Sur la place et les boulevards c'est un manège de
voitures pressées, une chorégraphie en mouvements circulaires
et incessants.
Une silhouette sur un trottoir, visible de loin, au début du
boulevard Baille, une silhouette que l'on voit de dos. Une allure plutôt
masculine et qui reste immobile face au mur. Elle porte deux ou trois
gros sacs en bandoulière. On distingue ses longs cheveux retenus
en arrière en queue de cheval. Ses vêtements évoquent
un sombre uniforme. Elle s'occupe à arracher une affiche. Elle
peine. Plusieurs affiches ont été collées successivement
à cet endroit là, elle ne parvient qu'à décoller
de petits morceaux, elle peine mais s'obstine, sans un regard sur le
côté ou en arrière. Elle s'acharne tout en conservant
un air détaché, presque calme. Les voitures passent, les
fenêtres ouvertes, éclats de voix, éclats de rire,
des rythmes, de la techno, du rap...
La silhouette reste à l'écart, sur son coin de trottoir,
sans jamais déposer ses bagages, sans se retourner, sans s'énerver.
Elle décolle ce qu'il reste d'une affiche où l'on n'identifie
plus aucun mot ni aucune image.
D'un coup elle s'interrompt, elle lance un regard derrière elle,
un regard inquiet, traqué. C'est un visage de jeune fille. Ses
bagages sont en plastique noir et luisant. Elle retourne à sa
besogne et arrache par petits gestes secs un nouveau lambeau.
Patrick Labarthe
Mercredi
13 juin 2001, 13 h.
La plage du Prophète.
La petite plage de sable beige est garnie de corps plus ou moins nus
et allongés sous le soleil cru. Quelques uns sont debout et transpirent
en jouant au beach-volley en hurlant. Une blonde plantureuse en monokini
doré, dont les racines noires forment un bandeau entre son visage
rose et sa chevelure jaune, réveille son compagnon endormi sur
une serviette orange :
- T'as vu Paulo, y sont pas cons, tu crois ?
- Oh ! putaing, Ginette, bronze et laisse moi dormir, lui répond
Paulo.
- D'abord, c'est l'heure de bouffer, non ? relance Ginette en farfouillant
des élastiques dans son sac en raphia vert. Elle en extrait deux
cylindres argentés.
- Tu veux celui à la tomate ou au saucisson ?
- M'en fout ! grogne Paulo, vas te noyer, va !
A côté, un petit chauve demande à sa voisine de
lui passer de l'huile dans le dos.
- Tu brilles assez comme ça, mon poulet, on dirait une sardine
à l'huile !
A leurs pieds, l'enfant qui joue tout seul parle à son seau bleu
mais on n'entend pas ce qu'il lui dit.
Armand Digénis
Mercredi
13 juin 2001, 9h 45.
Croisement de la Canebière et du cours Lieutaud.
Un vieil homme appuyé sur deux béquilles, le torse sanglé
par un sac en bandoulière, traverse au passage piéton.
A l'arrivée, il heurte le trottoir et tombe.
Deux passants se précipitent, le soulèvent et l'amènent
jusqu'à la petite pharmacie "La Canebière".
Sa bouche et son nez sont ensanglantés.
Sur le sol, au bord du trottoir une tache très rouge... en son
milieu, une dent... pointue.
Lundi
11 juin 2001, 02h00 du matin.
Rue Loubon, Marseille 13003. Trois jeunes gens remontent
la rue.
Ils sont sur le trottoir de gauche et marchent d'un pas tranquille.
L'un d'eux, celui qui est le plus en
avant, est vêtu de couleur sombre, portant aussi une casquette
du même ton.
Ceux qui le suivent, un homme et une
femme habillés très différemment, discutent.
L'espace de marche ne permet pas d'être trois sur la même
ligne.
Le premier, se retourne souvent vers
les autres ; tantôt il leur parle, tantôt il les regarde
en acquiesçant d'un signe de la tête ou des mains.
Ils arrivent près de la place
CAFFO quand ils croisent un groupe de très jeunes gens.
Le plus petit d'entre eux s'adresse à
celui qui porte la casquette et lui dit:
- Excusez-moi... vous n'auriez pas une feuille à rouler, s'il
vous plait.
L'autre répond d'un ton amical
:
- Non, non désolé...
- Merci quand même. Shaman
10
juin 2001, 16 h30.
Rue Sainte, 6ème.
La rue s'étire dans un nuage de fumée.
On aperçoit le feu, au loin.
Les voitures, le bus passent doucement, se frayant une voie entre le
camion et les ouvriers qui s'activent. Bousculades et ronflements de
klaxons...
Casques blancs, casques jaunes.
A gauche en allant vers le four des navettes, un immeuble tout imprégné
de fleur d'oranger et de poussière sort de terre. Au pied des
grandes grues, les derniers ouvriers terminent leur oeuvre.
En face, inscrite en lettres bleues, une phrase tagguée. Elle
est déjà recouverte, mais on peut distinguer les lettres
chavirantes :
"JE
NE TE CONNAIS PAS, MAIS JE T'AIME DEJA.
C'EST MON DESTIN." Sylvie
Barbière
10
Juin 2001, 16h00.
7, rue Jaubert.
Un choc, une explosion.
Un gémissement, une plainte, un cri de bête.
Des dizaines de visages apparaissent aux fenêtres.
Une moto couchée.
Un homme avec un casque.
Un homme couché sur le bitume, la main sur la cuisse.
Attroupement de passants - téléphones portables.
Aussitôt.
Cela s'éloigne - Puis cela revient.
Un fourgon rouge - Des hommes en uniformes - On découpe le pantalon.
- Monsieur, ouvrez les yeux ! ouvrez les yeux.
On découpe le pantalon - On dégage la cuisse -
On dégage -
Une moto couchée. Le trottoir n'a rien vu. Patrick
Labarthe.