Samedi
25 mai 2001, 17 heures.
Rue Saint-Pierre.
Sur les murs, des petits moulages
en plâtre coloré, triangulaires, carrés ou en forme
de médaillon. Près de la vitrine, un cochon blanc sur
un ciel mauve... Accroché dans un coin, un cochon debout en costume
d'Arlequin... Derrière un ficus et un yucca, un petit chalet
de montagne... Au dessus du comptoir, un épi de maïs, en
plâtre coloré... ainsi qu'un petit chaperon rouge et un
loup.
Sur une table basse, des journaux soigneusement disposés. Quatre
ou cinq piles d'illustrés usés, usagés, patinés,
aux reliures relâchées, aux couleurs vives... Sur la première
pile, " Rodéo ". La couverture montre un cavalier qui
chevauche dans la prairie... A côté, " Marouf ".
Sur la couverture, un personnage en uniforme d'officier nazi qui retire
un masque de caoutchouc et dévoile un horrible rictus... Sur
une autre pile, un garçon casqué de rouge, avec des étoiles,
bras musclé en avant, la main gantée très grossie
par un effet de perspective, " Superboy ". Il y a aussi des
" Picsou-Magazine ", des " Mickey-Parade ", "
Mustang ", des " Max ", des " Interview ",
" La Provence ".
Sur la moleskine noire d'un épais
fauteuil rotatif articulé, un homme immobile et silencieux dont
la tête dépasse d'un tissu synthétique à
carreaux gris, jaunes et rouges. Il fixe son image, restituée
par le miroir, qui occupe en face de lui toute la largeur du mur. Des
petites mèches blanches voltigent autour de ses oreilles. Derrière
les cheveux blancs, au dessus, un homme aux cheveux noirs. Moustache
épaisse, bras velus. Silence du client, silence du coiffeur.
Seuls le cliquetis des ciseaux, et la radio... " France Info actualités...
Présidentielles... Lionel Jospin n'est pas candidat à
ce jour mais... Israël ne ripostera pas à l'attentat du
Jihad Islamique... " Virgule musicale. " France Info partenaire
d'entreprises... Une société recherche... partenaires
pour la commercialisation d'un appareil destiné à contrôler
le muscle périnéen... sonde vaginale, sonde anale... faire
face aux problèmes d'incontinence et de descente d'organes...
Virgule musicale. L'Euro c'est dans moins d'un an, France Info vous
donne la parole... "
Le coiffeur et le vieux monsieur échangent
quelques mots. Quelques pas vers le comptoir... De son portefeuille,
le client sort un billet de cent francs pour les cinquante-huit de la
coupe simple. Reflets inox cuivrés provenant du plafond de lambris
métalliques. Montre métallique de plongée, bracelet
large, chromé, au poignet du coiffeur. Billet rangé, six
pièces sorties du tiroir, pour la monnaie.
Sur le comptoir, petits calendriers-cartes de visite... A gauche du
carton, " Salon Daniel ", un profil de jeune homme dessiné
au trait noir, chevelure noire, épaisse et frisottante, épaisse
sur le front, regard vers la droite... Sur la partie droite, photographie
de jeune femme en décoiffé, en déshabillé,
voilage, rouge à lèvres, dos cambré, modelé,
spot-light... A gauche, " Coiffeur-styliste, homme-enfant, sur
rendez-vous... " A droite, dos cambré... " Pin Up "
écrit en rouge.
Le client suivant s'installe sur la moleskine
qui enveloppe la structure épaisse, rigide et rembourrée
du siège articulé. Pierre
Grimal
Jeudi
de l'ascension, 24 mai 2001.
Sur le Vieux-Port.
Sous un soleil éclatant, quelques centaines de jeunes sont rassemblés.
Il y en a de toutes les couleurs qui dansent sur une musique techno
que diffuse un camion vert foncé, garé sur la pelouse
du terre-plein central. Devant le camion, un jeune garçon distribue
des petits flyers noirs : "Non à la loi Mariani."
Certains jonglent, jouent au yoyo, au bilboquet ou tournent comme des
derviches. Leurs looks vont de la tenue d'été minimale
avec des cranes rasés, aux longues tresses portées sur
des treillis militaires. D'autres sont sagement assis sur les pelouses
et roulent des joints bariolés. Ils se les passent en souriant.
Il y a aussi beaucoup de chiens qui tournent autour d'eux.
La circulation est interrompue et des promeneurs s'arrêtent et
observent cette jeune faune chamarrée.
- Sainte Vierge des aéroplanes ! crie une vieille dame dans l'oreille
de sa voisine. Armand Gigénis
21
Mai 2001.
Rue de Rome.
Un homme vêtu d'un long manteau à carreaux gris et blanc
tirant derrière lui une petite poussette ? caddie ? micro-caravane
? cabas à roulette ? sac à roues ?
Avec des carreaux aussi.
Il passe le long des voitures, son sourire souligne l'expressivité
mûre de son visage.
De ce visage-paysage ruisselle, le long de ses joues sillonnées,
des perles de pluie.
La ville est glissante, la rue ruisselante.
Une voix, derrière le rideau de pluie se fait entendre.
- Ô Danièle, ô Danièle emmène-moi au
cinéma, dit l'homme suivi par son pousse-pousse à carreaux.
Il passe devant la voiture.
- Ô Danièle, ô Danièle, fais-moi du cinéma.
Sourire.
Quelques minutes s'écoulent.
L'homme se rapproche de la voiture arrêtée, la plus proche
de lui.
Son sourire continue de manger son visage.
- Ô Danièle, ô Danièle, tu n'aurais pas deux
francs ?
Un grand éclat de rire fend l'air comme un éclair. Sylvie
Barbière
Mardi
19 mai 2001.
Impasse Montbard. Des enfants sortent
de l'école maternelle, devant leurs mères qui les suivent.
Ils partent en courant dans la traverse :
Les mères crient.
Ils prennent le virage de la rue Buffon à toute vitesse :
Les mères crient plus fort.
En bas, ils s'arrêtent net devant les poteaux du boulevard Philippon
où un bus passe.
D'autres enfants, restés devant l'école, grimpent sur
le mur qui soutient les grilles et le remontent de plus en plus haut
à petits pas chassés.
Personne ne les regarde : les mères parlent entre elles.
Une jeune maman met un petit garçon roux d'environ cinq ans sur
le porte bagage de son vélo jaune et place une petite fille plus
petite encore devant elle.
-Tenez-vous! On y va!
Ses freins crissent le long de la descente mais elle double tout le
monde. Ses enfants font des signes de la main aux autres enfants qui
leur répondent.
L'imprimeur devant son magasin les regarde passer. Christiane
Milon
Vendredi
18 mai 2001.
Devant le cinéma Le César, place Castellane.
Un homme et une femme s'assoient à la terrasse du café,
devant le cinéma. La femme tournée vers le cinéma
ne cesse de regarder le couple qui fait la manche.
Ceux-ci sont âgés, très maigres :
Elle, elle est assise sur les marches, elle a une veste courte, matelassée
d'un bleu marine disparu et un pantalon assorti, ses lèvres fines
ne cachent pas une bouche sans dents, ses cheveux mi-longs sont coupés
nets, elle tient contre elle un petit chien jaune.
Lui, il est debout, cheveux gris courts, vêtu d'un ensemble en
jeans noirs, décolorés, il tient dans une main un fond
de bouteille découpé en plastique vert à ses pieds
un sac.
Des gens passent, les saluent ,leur parlent, caressent le chien.
La femme de la terrasse regarde sa montre et parle à son compagnon.
Tous deux se lèvent, ils s'avancent vers le hall du cinéma,
lui devant. Il rentre. Elle dépose une pièce dans le petit
récipient vert.
- Merci, bonne séance! Christiane
Milon
Mardi
15 mai 2001 - 10h 30.
Centre Primaire de la Sécurité Sociale - rue Mathieu Stilatti.
Elle sont là : six femmes marrons en boubous, jaunes, rouges,
verts, et orange. L'une d'entre elles porte dans le dos un bébé
marron clair. Elles tiennent dans leur main un ticket et regardent les
écrans de télé. Des images défilent, sous-titrées,
avec des lettres normales et des spaghettis. Elles demandent si leur
numéro est sorti à une vieille dame qui leur répond
en italien et qui s'en va en colère. Le bébé hurle
et celle en rouge lui mouche le nez. Elle parle à ses copines
et elles s'esclaffent toutes. Puis, elles s'installent sur les banquettes
avec leurs tickets et elles attendent. Le bébé s'est endormi
en suçant un ticket. Armand
Digénis.
12
mai 2001, vers Minuit.
Entre la rue de La Loge et la rue de Caisserie. Les rues sont faiblement
éclairées.
- Je vais te tuer ! Ma voiture ! Je vais
te tuer ! Ma voiture.
Dans l'encadrement des immeubles, tout
en bas des escaliers, un petit homme court dans tous les sens en criant.
Il va jusqu'au quai et revient vers la rue en zigzaguant, il s'arrête
une fraction de seconde, regarde au loin dans la rue et repart.
A l'intérieur d'une voiture noire qui brille sous les réverbères,
une forme s'agite.
La vitre arrière, brisée, est ouverte.
Le petit homme continue de piétiner le bitume en criant, il se
rapproche de la voiture. A cet instant, un long corps s'extirpe par
la vitre arrière, assez lentement, de la voiture et se précipite
à sa poursuite. Le petit homme court vers le hall d'un immeuble,
un trait lumineux surgit, attaché à la grande silhouette
sombre qui disparaît aussi dans le hall de l'immeuble.
Les cris sont devenus des râles.
En haut de l'escalier, une petite effervescence est née, des
personnes se parlent, un homme sort de l'épicerie d'un pas décidé
et s'engage dans l'escalier.
Alors, la grande silhouette sombre monte à grande enjambées
silencieuses. Ils se croisent mais leurs regards ne se croisent pas.
La silhouette se dirige vers une petite rue et s'évanouit dans
le Panier.
Dans le hall de l'immeuble, le petit
homme déambule.
Des traces rouges de pieds le suivent de la porte à l'ascenseur,
de l'ascenseur à la porte et maculent le carrelage du sol.
- Calmez vous Monsieur asseyez vous
Mais le petit homme ne veut pas s'asseoir
et continue de crier :
- Ma voiture ! Ma femme, la porte de mon appartement est restée
ouverte !
Une femme est là aussi et le petit homme toujours debout baisse
son pantalon. Il remonte sa chemise et montre les petites entailles
saignantes.
- Il a arraché ses boucles d'oreilles à ma femme.
Un homme avec un Berger Allemand commente :
- C'était un arabe moi aussi ma voiture
Le petit homme s'est enfin assis sur le bord d'un petit muret dehors.
La femme est restée debout.
Des sirènes rugissent, la lumière bleue du gyrophare balaye
les immeubles, une voiture de police arrive à toute allure et
freine bruyamment.
Des hommes en sortent, revolver au poing, et commencent à poser
des questions. CS
Vendredi
11 Mai 2001.
27, rue Sainte-Victorine 13003. 22h 45
Un chat noir se fait écrabouiller par une voiture.
22h 50
Une dame dans la rue pleure en ramassant le chat. Elle l'enveloppe dans
du papier journal, pour finalement le jeter dans la grande poubelle
juste devant elle. Elle rentre chez elle et en ressort pour lancer une
bassine pleine d'eau sur la tâche de sang. Elle pleure et s'adresse
en colère, en levant les bras au ciel, au voisin qui sort ses
chiens.
22h 55
Un camion poubelle ramasse les ordures et le chat.
Stephane Rigo
Mercredi
9 mai 2001, en fin d'après-midi.
Cours Lieutaud.
Feu rouge, passage piétons. A l'arrêt des voitures, c'est
la première à s'élancer et à atteindre l'autre
côté du boulevard. C'est un petit gabarit. Entre cinquante
et soixante ans. Cheveux courts. Visage dur, sans expression. Manteau
défraîchi en synthétique blanc melotonné.
Collants épais gris-marrons. Chaussures basses. A la montée
Théodore Turner, pour aborder la pente abrupte, elle met pied
à terre et pousse sa trottinette. En haut de la côte, derrière
les voitures et les micocouliers de Notre-Dame-du-Mont, elle s'élance
de nouveau et disparaît sur son engin à roulettes. Pierre
Grimal
Dimanche
6 mai 2001.
Sur le Vieux Port.
Le ciel est lourd, il y a beaucoup de gens qui tournent autour des
marchands de poissons.
Elle marche et s'arrête à tous les étals parfois
elle questionne:
- Elles sont à combien les sardines? demande-t-elle à
un homme qui en a juste une caissette pleine posée à
terre.
Elle continue, va jusqu'au bout du quai, elle regarde les merlans.
- 40 f, pêchés de la nuit, crie une femme.
Elle fait demi tour jusqu'au marchand de sardines et en achète.
Il pèse les poissons sur la balance d'une voisine:
- Bon poids, 1,2 kg , 40 f.
Elle paye, prend sa monnaie.
Un homme s'approche :
- Vous savez pas que parfois le poisson, ici, c'est du congelé?
Elle s'étonne :
- Celui que j'ai acheté?
Lui, brusque :
- Vous comprenez quand on vous parle? J'ai pas dit que tous les poissonniers
vendent du congelé, mais parfois!
Du coup elle s'énerve :
- Qui vous a permis de me parler sur ce ton? Je vous ai rien demandé!
Taré!
Elle s'éloigne et l'autre lui crie :
- Va t'empoisonner! Christiane
Milon